Jean-Marie et Pierre DUPOUY

Jean-Marie et Pierre Dupouy par Louis Ogès

« C’est pour vous rendre cette douceur de France que je suis tombé. Ceux qui me plaignent sont à plaindre. » Jean-Marie Dupouy en 1943

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Jean-Marie Dupouy en 1943
Pierre Dupouy
Pierre Dupouy

Parmi la foule des héros qu’engendre le mouvement de la Résistance française ,il en est dont le rôle se révèle comme ayant été d’une grande efficacité. Je désire rendre hommage à deux jeunes gens, deux frères, qui symbolisèrent dans la Résistance les plus belles vertus de patriotisme, de courage, d’abnégation et de modestie. Il s’agit de Jean-Marie et Pierre Dupouy, fils de l’éminent écrivain à qui est consacrée la plus grande partie de ce numéro. On ne peut qu’être frappé par le parallélisme fraternel de leur destin. Tous deux étaient rédacteurs a la Direction des Beaux-Arts, rattachée à l’Education nationale. Ils militèrent d’abord par la parole avant de se jeter à corps perdu dans la Résistance active. Leur père, qui leur avait inculqué une haute conception de l’honneur et du patriotisme, ne songea pas un instant à les en détourner. Ils vinrent €en Bretagne où les appelaient plus particulièrement leurs sentiments bretons et où ils savaient que la lutte contre l’envahisseur était acharnée

LA LUTTE CLANDESTINE

Leur rôle dans la clandestinité fut efficace; leur famille même ignarait l’essentiel de leur activité. Bannis volontaires, ils savaient qu’au maquis, la lutte devait être sourde et sans gloire, anonyme aussi.

Nous savons cependant par ceux qui les virent à l’oeuvre, qu’ils furent de plusieurs coups durs et prirent part à de nombreux actes de sabotage.

D’abord agent permanent des corps-francs « Vengeance » , Jean-Marie fut choisi comme chef des corps-francs du groupe « Vengeance » de Bretagne; Pierre devint chef des corps-francs du groupe des Côtes-du-Nord.

M. Jean David, de Brest, placé sous leurs ordres, a donné sur leur compte ces renseignements : « Jean et Pierre Dupouy ont entrepris, à partir de novembre 1943,de remettre sur pied en Bretagne un mouvement d’action décapité- A ce titre ils recrutèrent, enseignèrent, donnèrent des ordres d’action… Je puis enfin ajouter ceci: sans leur action, le démarrage des corps-francs « Vengeance » n’aurait pas eu lieu. C’est sous leurs ordres que des équipes furent constituées, instruites et armées. Ces équipes furent à l’avant-garde du combat clandestin jusqu’à la Libération . Ils travaillèrent dans le canton de Pont-l’Abbé qu’ils connaissaient plus particulièrement, aux environs de Brest, à Guingamp, à Saint-Brieuc et à Rennes. C’est dans cette ville que, le 20 avril 1944, ils furent arrêtés par un autonomiste breton, Le Ruyer, qui travaillait pour le compte de la Gestapo.

SUR LE CHEMIN DE L’EXIL

Ils furent emprisonnés à Rennes où ils restèrent deux mois. Jean y connut les brutalités des nazis, il y subit leurs tortures raffinées, mais il ne parla pas. Mme Auguste Dupouy conserve comme des reliques les lettres écrites par ses enfants dans la prison de Rennes. lls les écrivaient ou crayon sur des feuilles de papier à cigarettes qu’ils inséraient dons les ourlets ou les coulisses de leur sac à linge qu’emportaient à chaque visite, Mme et Mlle Ménez, femme et fille du regretté écrivain, qui leur apportaient du ravitaillement.

Pierre fut transféré de Rennes à Compiègne le 21 juin; Jean ne repartit que le 28. A Orléans, Pierre réussit à faire poster une lettre où il écrivait : « Notre convoi groupe une soixantaine de patriotes et tous fiers de l’être. Nous sommes entre Bretons et le moral est bon. Après Compiègne, ce sera l’adieu à la France, le camp…«  J‘espère tenir. Le plus pénible sera de mener séparément le combat que j’ai mené coude à coude avec Jean. C’est un sacrifice de plus, pas le moindre… »

DANS LES CAMPS ALLEMANDS

Après un court séjour à Compiègne, tous deux partirent pour l’Allemagne où ce fut encore la séparation: Pierre fut envoyé en commando à Brême et Jean à Bremen-Forg. Astreint à des travaux pénibles, Pierre tint merveilleusement au moral comme au physique. Ses malheureux compagnons et lui n’étaient même pas chaussés: ils se faisaient des patins de bois tenus aux pieds par des fils de fer . A Bremen-Forg, Jean connut des jours encore plus durs. Sur la dénonciation d’un Russe qui prétendit qu’il s’était levé la nuit pour lui voler son pain, et malgré les protestations de tout le bloc, il reçut 25 coups de schlague dont il garda longtemps les traces . Les témoignages de ses compagnons le montrent plein d’espoir et de courage, ll mourut de la dysenterie et du typhus à l’infirmerie de Bergen-Belsen, le 20 avril 1945.

Quant à Pierre, après avoir été opéré d’un phlegmon à Neugamme, il fut conduit à Lubeck et embarqué sur un paquebot allié: le « Cap Arcona » Hélas ! le navire fut bombardé et coulé par les Anglais qui croyaient s’attaquer à des Allemands. Les deux frères, qui s’aimaient comme des jumeaux disparurent à l’heure de la libération, alors qu’ils pouvaient espérer revoir bientôt la France et leur famille.

SOLDATS D’UNE FRANCE NEUVE ET LIBRE

Nous ne reproduirons pas in-extenso les admirables lettres que ces deux jeunes gens écrivirent dans la clandestinité et qui montrent la noblesse de leur caractère. Elles sont empreintes du patriotisme le plus fervent et mériteraient une place dans le Livre d’or de la Résistance française. Annonçant à son frère Pierre qu’il entrait dans la Résistance active, Jean l’invitait à venir le rejoindre, le 29 août 1943 :

«  Ce n’est pas le cœur léger que je quitte la vie facile que nous avons ici et que je donne aux parents et à vous tous des nuits plus blanches, des jours plus inquiets….. Mais quoi ! Pendant que des peuples se construisent ou se détruisent, pendant que notre France peine et s’arc-boute contre un ennemi toujours plus cruel, pendant que des centaines de mille de nos compatriotes souffrent dans leur chair et dans leur âme, pendant qu’Auguste Gantier. notre vénérable ami, a montré, à nous les jeunes, le chemin du devoir et de la patrie , nous vivons des jours tranquilles, perdus en paroles et en velléités, sans qu’aucun de nos actes pèse sur l’ennemi. Qu’aurons-nous à répondre à la question terrible « Qu’avez-vous fait pour soulager votre pays ? Tu veux comme moi une France neuve et libre. N’est-ce pas de nos mains que nous devons conquérir cette nouveauté et cette liberté ?… »

Puis Jean appelle son frère à l’action:

« Le sacrifice que je te demande est lourd, mais si tu savais quel bien-être on éprouve de rompre avec le « laisser-vivre » et de passer à l’action ! Naturellement tu es libre de choisir et tu sais déjà que quelle que soit ta décision, mes sentiments de fraternité resteront les mêmes. Une fierté de plus d’être ton frère si c’est un « oui » , voilà tout. Ne souffle mot de ceci à personne, surtout pas aux Parents . Au revoir. mon cher vieux Pierre. Quels beaux jours nous attendent ! »

LA HANTISE DE PENMARC’H

Le 22 novembre 1943, avant de partir pour une mission périlleuse, Jean écrit à ses parents une admirable lettre qui constitue en quelque sorte un testament:

« …, J’ai respiré votre exemple : la sainteté de maman, la simplicité laborieuse de papa. J’aimerais que vous compreniez combien je vous dois. Aujourd’hui il n’y a plus dans mon cœur que Pour un sentiment d’immense reconnaissance » Puis, c’est un hymne à la France où s’entremêlent ses souvenirs de jeunesse à Penmarc’h

«  J’ai mis par-dessus tout mon amour de la France. Notre-Dame la France, je vous sais gré de m’avoir pris pour soldat … Je pense au spectacle sublime du couchant sur le  Menez  de Saint-Guénolé.., On ne peut le contempler sans devenir plus qu’un homme c’est la liberté même qui pénètre dans la chair…. La façon dont je serai mort importe peu : mes actes seuls comptent et n’aurons pas été inutiles s’ils veulent simplement pour l’exemple . Je désire que mon nom soit inscrit sur le monument aux morts pour la France de la commune de Penmarc’h. »

Ce désir a été exécuté : son nom et celui de son frère figurent sur le beau monument que Penmarc’h a élevé à la gloire de ses enfants morts pour la France. Pour mieux conserver le souvenir de ces deux jeunes gens, leur nom a été donné à une rue de Saint-Guénolé où ils aimaient à revenir chaque été et dont le souvenir les hantait aux heures les plus sombres de leur calvaire. Leur père a publié un « Mémorial » réservé aux membres de la famille et aux amis. Il rapporte , d’après les documents et les renseignements qu’il a pu recueillir ce que fut l’activité patriotique de ses enfants et leur vie dans les camps nazis

« Ils ont accepté de mourir pour la France, mais ils ne veulent pas être oubliés »

Extrait des « Cahiers de l’Iroise » N°1 de Janvier- mars 1968

( N° entièrement consacré à l’écrivain breton Auguste Dupouy, père de Jean-Marie et Pierre)