Louis KERVEILLANT

La famille Kerveillant, habitant la ferme de Feunteun Ven jouxtant l’Ile Chevalier (Pont L’Abbé), a fourni une aide importante à la résistance locale.

Le père, Isidore Kerveillant, un « homme bon », comme il était décrit, était bien ancré à gauche.

Son fils Louis Kerveillant, né en 1913, et sa femme Anna, née en 1921, vivaient avec lui et exploitaient la petite ferme ensemble.

En 2019, Anna, âgée donc de 98 ans, dotée d’une mémoire et d’une lucidité impressionnante, m’a raconté quelques faits relatifs à cette époque de la guerre 40-45 :

La ferme étant isolée, c’était une bonne cache qui a souvent servi pendant la Résistance. La famille assurait hébergement et nourriture pour tous ceux qui avaient besoin d’un abri.

De nombreux résistants y ont trouvé de quoi se nourrir – « on tuait une bête » – me dit Anna, ceci avec la complicité de quelqu’un qui travaillait à l’abattoir de Pont L’Abbé.

L’hébergement était offert à ceux qui avaient besoin de se cacher – « nous avions peu de place pour les loger car nous étions quatre et il n’y avait que deux pièces. Mais il est arrivé qu’Isidore, le père de Louis, laisse son lit… » –

Un des correspondants était Daniel Trellu, chef FTP du Finistère, Il y avait aussi Bastien Volant et Rigobert Quiniou, instituteurs et résistants communistes bigoudens.

Daniel Trellu organisait aussi des réunions clandestines dans la ferme Kerveillant.

D’autres résistants étaient aussi envoyés à Feunteun Ven par Jean Poulain, un résistant, menuisier à Pont L’Abbé, ainsi que par la famille Cariou avec laquelle ils sont restés amis après la guerre. Marcel Cariou, résistant, était le neveu de Corentin Cariou fusillé le 7 mars 1942, et la femme de Corentin était venue s’installer à Pt L’Abbé, d’où elle était originaire, après l’exécution de son mari.

La famille fréquentait couramment des personnes engagées, et Louis adhéra au parti communiste clandestin pendant la guerre en 1943.

Anna raconte qu’un jour on leur a envoyé un résistant FTP de St Guénolé, Michel Le Lay* pour un bref séjour de 3 jours. Il était activement recherché par les Allemands. En fait il est resté 30 jours, ce qui commençait à être imprudent car des voisins l’avaient vu. Mais il lui était difficile de partir, seul, à pied, car il n’avait aucun papier d’identité.

Anna avait de bonnes relations avec une personne « de gauche » travaillant à la mairie de Pont L’abbé. Elle lui soumit le problème, et c’est ainsi que Michel Le Lay a pu partir avec une carte d’identité faite « sur mesure ».

Anna connaissait également très bien « Corentine d’Albert », c’est-à-dire Corentine Tanniou, chez qui elle était le jour de l’arrivée des Allemands à Pont L’Abbé.

Des Allemands passaient régulièrement pas loin de la ferme car ils étaient logés « au château », la grande bâtisse de l’Île Chevalier, et ils se rendaient tous les jours à Pont L’Abbé à pied. Parfois ils faisaient un petit détour et passaient juste devant l’habitation. Il fallait donc être très prudents.

Anna raconte qu’un jour ceux-ci furent surpris qu’on leur refuse des œufs avec un « y en n’a plus » alors qu’ils voyaient plein de poules… Ils n’insistèrent pas trop car ils savaient qu’une autre ferme voisine les fournissait régulièrement. Il a fallu aussi freiner un peu Annick, la petite fille de 4 ans, qui leur disait « sale bot », ne sachant pas prononcer les « ch ».

Il est arrivé aussi que Louis soit réquisitionné, avec sa charrette, pour transporter des marchandises à des Allemands. Le choix ne lui était pas laissé. Lors d’un retour il eut même des problèmes avec des gendarmes vers Plomeur car « il n’avait pas de lumière à sa charrette… ».

Anna raconte aussi qu’un jour, vers la fin de la guerre, Louis a caché deux russes (ou caucasiens) qui voulaient déserter. Après avoir récupéré leurs armes il les a hébergé avant de les conduire rejoindre les résistants vers le petit maquis voisin de Corroac’h (en Combrit)..

Gaston Balliot, mai 2019

* Michel Le Lay était le père de Lucien Le Lay, mort en déportation, dont le nom a été donné à une rue de Penmarc’h
Michel Le Lay, marin-pêcheur, est décédé en 1957 à l’âge de 59 ans.


HOMMAGE A LOUIS KERVEILLANT

(le discours prononcé par Michel Scuiller lors des obsèques de Louis Kerveillant)

Louis KERVEILLANT est né le 29 janvier 1913 à Feunteun Ven où il a toujours vécu. En tant que domaniers, ses parents, agriculteurs comme lui, cultivaient sans être propriétaires .

En 1916 sa mère décède, il a trois ans.

La guerre de 1914-1918 signifie pour Louis une double séparation puisque son père est mobilisé durant sept années, au cours desquelles il connaîtra La Marne, La Meuse, Verdun

Une cousine s’efforcera de compenser l’absence parentale et y assumera, très jeune, la responsabilité du jeune Louis. Mais, en l’absence des deux parents, l’enfance de ce fils unique a été très difficile . Au retour de son père, Louis recevra une éducation humaniste et républicaine . Il aimait, à cet égard, rappeler les propos de son père : « La Gauche doit s’unir, sinon rien ne sera possible »

Au lendemain du Front populaire, il épouse Anna qui devient sa compagne de toute sa vie.

La période 1939-1945, sera, à Feunteun Ven, le lieu de rencontres et de relations permanentes avec la Résistance locale et régionale.

Cette solidarité naturelle, mais réelle, permettait de donner un peu de nourriture aux Résistants, en plus de l’hébergement. Les Partisans, Daniel Trellu, Bartélémé et beaucoup d’autres, connus ou non, tenaient des réunions à la ferme de Louis et Anna Kerveillant.

Souvent les Allemands patrouillaient et contrôlaient. Deux Russes, réfractaires de l’armée allemande ont été hébergés quelques jours avant d’être récupérés par la Résistance.

Cette période n’était pas sans risques, mais l’engagement d’Anna et de Louis était fort et désintéressé. A la Libération, Louis est délégué par son Parti pour assister, trois jours durant, à paris, au Congrès de la Paix. Puis Louis est élu sur la liste du PCF, aux côtés de Le Bleïs, maire communiste de Pont-L’Abbé. Lors de cette première élection municipale d’après guerre, Louis fut même sollicité pour assumer les fonctions de maire, mais son dévouement, ses connaissances des gens sur le terrain ne pouvaient suffire, il considéra que son manque d’instruction constituait un handicap trop lourd.

Durant plus de soixante années, Louis fut membre du PCF auquel il adhéra au lendemain du Front Populaire. Il est demeuré un homme jovial, généreux, d’une intelligence peu commune, doté d’une large connaissance et d’un humour très marqué.

En ce début d’année 1999, après son 86e anniversaire, Louis connaît de graves problèmes de santé : il se savait très fatigué, mais continuait de lutter.

Dimanche, il nous a quittés au moment où se tenait au Bourget, la fête de son journal « L’Humanité ».

A son épouse Anna, sa fille Annick, son gendre Pierrick, ses petits enfants, Bertrand et Benoît, à toute la famille, la Cellule de Pont-L’Abbé-Combrit, la section du Pays bigouden sud du PCF, le collectif du « Travailleur Bigouden » renouvellent l’expression de leur sympathie attristée.

paru dans « Le Travailleur Bigouden » n° 176